Le cabinet se substitue
à l’IBA, réclamant une enquête sur un documentaire diffusé par
la MBC sur le Saï Baba. L’indépendance de l’Etat par rapport à
la religion est bafouée.
L’ironie est pesante. Il y
a quatre ans, l’alliance gouvernementale s’était engagée à
faire de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC) “une BBC
à la mauricienne”. Jeudi, le Conseil des ministres a décidé
d’enquêter sur la retransmission d’un documentaire… de la
British Broadcasting Corporation (BBC) sur les ondes de la
MBC. Le cabinet s’est dit inquiet qu’un programme diffusé sur
une chaîne publique ait “projeté une mauvaise image du Saï
Baba”.
La décision du cabinet étonne. Maurice étant un
État laïc, l’exécutif doit affirmer son indépendance vis-à-vis
de la religion. Or, ce principe a été bafoué. Une lecture du
communiqué officiel du conseil des ministres mène à une seule
conclusion : il est interdit de critiquer le Saï Baba.
Confortablement installé dans son ashram au Sud de
l’Inde, le Saï Baba devrait apprécier. Considéré comme un
avatar, soit une incarnation divine sur terre, il compte
environ 30 millions de fidèles à travers le monde. Le
mouvement est bien ancré à Maurice, comptant des membres
influents dans les plus hautes sphères de la République.
Certains adeptes sont de grosses pointures de la politique
mauricienne.
Secret Swami, le documentaire de la BBC,
avait tout pour déplaire aux dévots mauriciens du Saï Baba.
Présentant la face cachée de ce mouvement, les journalistes
britanniques interrogent des anciens disciples qui font une
allégation de taille : le Saï Baba aurait abusé sexuellement
d’eux ou de leurs proches.
Diffusé vers 22 heures
mercredi, le documentaire n’attire qu’une audience limitée.
Les quelques disciples du mouvement qui le visionnent sont
choqués et font scandale. La nouvelle se répand comme une
traînée de poudre. Les protestations atteignent les oreilles
de membres influents du gouvernement. Le lendemain, l’affaire
est prise avec le plus grand sérieux au Conseil des ministres.
Après tout, le cabinet comprend des fidèles de Saï Baba.
Comme tout citoyen, chaque ministre est libre de
choisir ses convictions religieuses. Il ne peut toutefois pas
en faire une affaire d’Etat. Or, c’est ce qu’a fait le
gouvernement en faisant du documentaire de la BBC un item
officiel des discussions du cabinet. Cette stratégie lui a
peut-être permis de grignoter un capital sympathie auprès de
la communauté Saï Baba, mais elle a également nui à sa
crédibilité.
Selon les dispositifs actuels, toute
protestation concernant une émission radio ou télé doit être
soumise par écrit à l’Independent Broadcasting Authority
(IBA). Certes, le Complaints Committee ne siège pas depuis
avril – car le contrat de ses membres n’a toujours pas été
renouvelé – mais les procédures n’ont pas changé. Et le
cabinet s’est joyeusement substitué à l’IBA.
Diffusé en Inde
A la MBC, tout est
mis en œuvre pour répondre aux questions du conseil des
ministres. Certains faits sont déjà établis. Le documentaire
Secret Swami faisait partie des émissions de BBC World, la
chaîne d’information en continu de la TV britannique. Il
n’avait pas été diffusé en direct mais enregistré mardi pour
être retransmis mercredi soir – une pratique commune pour les
chaînes internationales retransmises à la MBC : TV5, BBC World
et Doordarshan. Le seul hic est que le documentaire
controversé n’avait pas été visionné avant d’être retransmis.
A la MBC, on affirme que “quelqu’un a fauté quelque
part”. Cette logique ne tient pas la route. En retransmettant
les émissions des chaînes internationales, la MBC a voulu
démocratiser l’accès à des programmes de qualité. Pourquoi
censurer ? Pourquoi quelqu’un enfermé dans un petit bureau à
Forest-Side devrait-t-il décider ce que le reste de la
population devrait voir ou pas ? Si on suit la logique de
l’Etat, ce qui est bon pour ceux qui peuvent s’abonner au
bouquet satellitaire de DSTV ne le serait pas pour le grand
public.
Pour corser la situation du cabinet, Secret
Swami est une production de la BBC, une des organisations les
plus respectées au monde pour son éthique. La réputation de la
corporation a cependant pris un mauvais coup après l’affaire
Kelly en 2003, quand le journaliste Andrew Gilligan a produit
un reportage imparfait sur l’exagération de la menace
irakienne par Downing Street.
Liaisons
dangereuses
Le Producers’ Guidelines de la station
britannique a été revu depuis. Ce document dédie tout un
chapitre aux susceptibilités religieuses. Secret Swami a même
été diffusé dans la Grande Péninsule et le gouvernement indien
n’en a pas fait une affaire d’Etat. Le documentaire a
également été retransmis à la télévision britannique en juin
2004 sans qu’il n’y ait de grosses protestations. Le
gouvernement mauricien semble être plus royaliste que le roi…
L’incident du documentaire sur le Saï Baba lève
également le voile sur les liaisons dangereuses entre les
organisations socioculturelles et la MBC. Au fil des ans, ces
mouvements ont misé sur une clause du MBC Act qui stipule que
la station doit trouver le juste équilibre dans l’allocation
des heures de diffusion par rapport à la culture et la
religion. Pour corser les choses, les organisations
socioculturelles sont considérées comme des “banques à votes”
par la classe politique mauricienne. Elles sont ménagées,
privilégiées et chouchoutées. La surestimation est évidente
mais personne ne voudra prendre le risque de les froisser.
Le résultat est que les organisations socioculturelles
ne cessent d’influencer la programmation de la MBC. Certaines
sont devenues si puissantes qu’elles rencontrent l’état-major
de la rue Pasteur quand elles le veulent. D’autres se
permettent de taper du poing. Le conseil d’administration de
la MBC se contente de hausser les épaules et de soupirer
“qu’il faut faire avec les réalités mauriciennes”. A tel point
qu’il se retrouve avec des situations difficiles sur les bras.
Comme la retransmission en différé du match Manchester
United-Manchester City le dimanche 7 novembre, alors que cette
rencontre aurait dû être diffusée en direct. La MBC avait
alors décidé de satisfaire les quelques dirigeants de la Hindu
House au lieu des milliers de fans de la FA Premiership. Qui
disait que le football était la nouvelle religion ?
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